Allemagne La gestion des volumes fait enfin débat
La filière laitière allemande va-t-elle changer de méthode et s’engager dans une stratégie de gestion des volumes de nature à atténuer les futures crises ? Rien n’est encore écrit. Mais le sujet n’est plus tabou.
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Vingt mois de crise ont fait des dégâts parmi les quelque 71 000 élevages laitiers du pays. Ils se résument en un chiffre : 4 000. Selon le syndicat DBV, c’est environ le nombre d’exploitations laitières de toutes tailles de troupeau qui a mis la clé sous la porte en 2016, presque deux fois plus que durant une année « normale ». Cette évolution n’émeut guère le MIV, l’association des transformateurs laitiers. « Le marché a toujours le dernier mot », juge Björn Börgermann, son chargé des relations publiques.
« C’est du ressort exclusif des laiteries »
Il enchaîne : « S’il faut songer à des instruments ou à des méthodes de gestion des volumes, c’est du ressort exclusif des laiteries. » En Allemagne, les contrats ne sont pas obligatoires et la structure réunissant cinq grandes coopératives n’a pas publié de recommandation quant à la mise au point d’un mécanisme de crise sur lequel elle a promis de réfléchir. Il est clair que la majorité des laiteries reste allergique à toute idée de régulation ou quelconque discipline en laquelle elles décèlent le retour rampant d’un système de quotas. « Leur en parler déclenche la panique ! » confie Elisabeth Viechtl, responsable lait au ministère de l’Agriculture du Land de Bavière. « Une laiterie qui limite sa transformation n’améliore plus son coût de production. C’est pareil pour un élevage. La question, c’est comment encadrer raisonnablement la production sans que d’autres en profitent ? Aucune laiterie ne dévoile ses intentions. Chacune attend qu’une autre se prononce ou s’engage. C’est le jeu du chat et de la souris », estime Günter Martin, président du groupement de producteurs Sachsen MEG, près de Dresde. Motus donc.
En vérité, un peu partout, les coulisses bruisseraient de discussions pour évaluer toutes sortes de modèles, des prix différenciés à la sécurisation des prix à travers les marchés à terme… En attendant, les porte-parole des entreprises, notamment les coopératives qui transforment 70 % de la collecte allemande, rassurent comme ils peuvent, en soulignant le travail acharné et la volonté mis dans l’ambition de donner plus de valeur ajoutée à leurs gammes, sous-entendu afin de pouvoir mieux payer leurs livreurs…
La pression politique
Avec la crise, la balle est en tout cas bien retombée dans le camp des transformateurs. Les réflexions qu’ils mènent en interne semblent être la conséquence d’une pression d’abord exercée par la classe politique. Le ministre fédéral de l’Agriculture, Christian Schmidt, plaide pour une réduction volontaire des livraisons en cas de crise, les Länder pour un modèle similaire mais à caractère contraignant. Mais leur souhait d’un mécanisme de régulation reste, pour l’instant, un vœu pieux.
« La révision du paquet lait en 2020 est l’opportunité la plus proche pour donner la possibilité d’inscrire les relations entre livreurs et transformateurs dans un cadre contractuel. Les industriels auraient tort de sous-estimer la volonté politique d’aboutir sur cette question. Le sujet est d’autant plus important pour la Bavière qu’elle a pris de longue date l’option de privilégier le maintien de ses exploitations laitières qui participent à celui du tissu rural et du paysage », prévient Elisabeth Viechtl. Elle avoue que la contractualisation « à la française » est scrutée. Mais personne ne songe à la reprendre telle quelle.
Dans l’immédiat, l’important semble que ce débat, encore tabou voilà deux ans, ait lieu. Il a occupé les participants du huitième forum laitier, qui s’est tenu à Berlin à la mi-mars 2017. Les avis d’interlocuteurs ignorés jusque-là – écologistes, syndicats BDM et AbL, alliés de l’Apli et de la Confédération Paysanne – sont pris en compte.
Sur le terrain, les mentalités bougent
Sur le terrain, les mentalités bougent lentement. Plusieurs laiteries privées, qui se concentrent sur le marché national, réfléchissent à des évolutions avec, parfois, des débuts de mise en pratique.
La laiterie de Berchtesgaden – 306 millions de litres, dont 30 % en bio, transformés en 2016 – a démarché ses éleveurs en les appelant à la solidarité afin qu’ils évitent de leur propre chef que leurs tanks à lait ne débordent. « Ce discours a été entendu. Mais il fonctionne parce que l’entreprise paye correctement », juge un acteur local. « La VMB, la fédération des producteurs de lait de Bavière, est favorable à des contrats dont le cadre et les mesures seraient fixés en concertation par le transformateur et son(ses) apporteur(s)pour coller à chaque situation. Une réduction des volumes livrés peut être l’une des clauses à activer en cas de crise », complète Hans-Jürgen Seufferlein, directeur du syndicat. La descente aux enfers récente des prix du lait a généré un nouveau type de contrat. Il prévoit qu’un membre d’un groupement de producteurs annonce, à l’automne, le volume qu’il souhaite livrer l’année suivante, avec une tolérance de 10 % en plus ou en moins. Ce cadre lui octroie, en outre, la possibilité de lisser ses apports au sein du groupement entre ceux qui ont dépassé ou qui n’ont pas produit le volume pressenti. Si cette souplesse ne suffit pas, le prix Spot fait référence pour payer tout litre livré au-delà de ce dispositif et pénaliser tout litre manquant. Seules 5 % des entreprises privées ont adopté un tel système. « C’est peu et la tendance est à la hausse. Mais au départ, il n’y avait personne », signale Markus Seemüller, directeur de Bayern MeG, l’OP horizontale chargée par ses adhérents de parler d’une seule voix pour négocier le prix du lait entre ses OP mandataires et les transformateurs.
En cet été 2017, Bayern MeG a étendu sa présence à dix des seize Länder allemands. Elle pèse 4,5 milliards de litres, 2 md de plus qu’en juin 2015. 110 groupements, contre 73 il y a deux ans, lui confient actuellement la négociation du prix du lait avec une trentaine de laiteries. Le groupement Sachsen MEG, adhérent de Bayern MeG, est l’un des derniers arrivés. Créé en juillet 2015, il négocie avec deux laiteries tous les trois mois le prix pour vingt-quatre producteurs, totalisant 95 millions de litres, qui ont l’assurance que tout le lait qu’ils produiront sera collecté tant que le contrat est reconduit tacitement d’une année sur l’autre.
Beaucoup d’opposantsà la régulation de production
« La laiterie se couvre contractuellement à 80-90 % de ses besoins et achète ce qui lui manque en Spot. La destination de notre lait nous importe peu. Ce qui nous intéresse, c’est la durée de la relation et le prix. Dans le cas de ma coopérative, je peux faire une prévision de trésorerie sur deux à trois mois. Je sais si j’ai intérêt ou pas à pousser mes 1 200 vaches, en jouant sur la qualité du maïs ensilage ou le niveau de concentrés qui influencent de 3 et 4 % la productivité du troupeau, indique Günter Martin. Au pire de la crise, le prix de base à 40/34 est descendu pendant un bon trimestre à 220 €/1 000 litres. Ce niveau est intenable. Mais psychologiquement, il était important de pouvoir parler avec nos acheteurs. Nous savions pourquoi ça se passait comme cela. Aujourd’hui, les laiteries ne savent pas ce qui les attend sur le marché. Elles sont comme nous, obligées de dire à leurs clients qu’on ne peut pas descendre éternellement le prix. Le regroupement des producteurs en OP ne sauvera pas le monde. La restructuration des élevages se poursuivra pour des raisons économiques et aussi à cause du manque de main-d’œuvre. »
« L’ampleur prise par Bayern MeG est une conséquence de la crise, analyse Markus Seemüller. Le marché allemand aurait besoin d’être encadré. Mais il n’est pas très aisé de trouver les critères sur lesquels s’engager, et de s’entendre dessus. L’écrasante majorité des conseils d’administration des groupements de producteurs et beaucoup d’éleveurs restent fermement opposés à toute idée de régulation de la production. Cela se comprend. Il est psychologiquement très difficile de revenir sur la liberté qui a été donnée. » C’est pourquoi la réalité de l’écrasante majorité des relations entre les maillons transformation et approvisionnement demeure terre à terre. Les laiteries ressassent à leurs livreurs que ce n’est pas dans leur intérêt de se limiter ; les éleveurs se préoccupent de savoir comment décrocher la prime de volume qui améliorera leur prix moyen. Pour les plus gros livreurs de Sachsen MEG par exemple, elle peut atteindre 19 €/1 000 litres.
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